mercredi 16 avril 2014
Yaourt à saveur de billevesée
Matériel supplémentaire
Dans l'arsenal imposant du vocabulaire publicitaire, il y a des termes et des concepts qu'on retrouve souvent, parce qu'ils inspirent confiance ou donnent du produit une image avantageuse. "Frais" est souvent associé à tout produit alimentaire qui ne sort pas d'une boîte de conserve, même s'il s'agit d'un fruit qui a été cueilli il y a des semaines; on retrouvera aussi le terme associé au dentifrice ou au parfum d'un savon. C'est de bonne guerre.
Dès qu'on touche de près ou de loin à la santé, par contre, le caca d'oie se met à voler. L'industrie publicitaire, comprenant que le commun des mortels aime bien penser en termes de blanc et de noir, identifiera des termes à connotation négative ("cholestérol"!) ou à connotation positive ("oméga-3"!) et les utilisera à outrance pour nous convaincre que ce qu'on achète est non seulement propre à la consommation, mais garant d'une vie plus longue et plus heureuse. Il n'est ainsi pas exceptionnel de tomber sur du jus d'orange "sans cholestérol", même si la seule façon de trouver du cholestérol dans une orange serait d'en ajouter artificiellement, chose que peu d'entreprises (mêmes les démoniaques multinationales conspuée par tout bon altermondialiste) considéreraient de faire. On insistera aussi sur la présence d'oméga-3 dans tout produit contenant un tant soit peu de lipides, parce que grâce à une campagne marketing mondiale, les effets bénéfiques sur la santé cardio-vasculaire d'une diète contenant ce type d'acide gras en ont fait une véritable panacée qui non seulement réduit vos chances de faire un infarctus mais réduit aussi dramatiquement vos chances de développer un cancer, de devenir diabétique, de devenir sot ou de puer des pieds; il vous empêche aussi de loucher, augmente le quotient intellectuel de vos enfants, ralentit l'effet de serre, fait la promotion de la paix entre les peuples et retarde la mort thermique de l'univers. Oui, madame. Quel bon produit, à prix réduit pour un temps limité!
Les prétentions de nombreux aliments, pseudo-médicaments et autre nutricaments de réguler nos fonctions immunitaires tiennent souvent elles aussi soit de l'exagération, soit de la science-fiction. "Système immunitaire" est bien sûr un terme à forte connotation positive, dans le langage publicitaire; j'imagine que même un vendeur de ciclosporine hésiterait à claironner haut et fort que sa molécule réduit l'efficacité du système immunitaire. (Il dirait plutôt que la ciclosporine réduit les chances de rejet de greffe, ce qui veut dire la même chose mais sonne sensiblement mieux). On nous annonce donc très souvent que ceci ou cela "stimule notre système immunitaire". La réaction attendue chez le client est de l'ordre de "le système immunitaire me protège des maladies, donc ce produit est bon pour moi".
Mais voilà, les mots "stimule le système immunitaire" ne veulent pas dire grand chose hors contexte. Le système immunitaire n'est pas un ange gardien bienveillant qui nous garde des méchants virus et des infâmes bactéries. Comme avec une automobile, quand on soulève le capot, on voit que rien n'est aussi simple que dans une publicité.
Le système immunitaire est composé de cellules et de protéines dont le rôle ultime est, on s'en doute un peu, d'assurer un équilibre entre les cellules du corps et le reste de la nature. À cette fin, les cellules de notre corps portent des marques individuelles (ce sont des protéines exprimées à la surface des cellules) qui permettent de distinguer le "soi" (nous) du "non-soi" (le reste). À cause de la très grande variété de ces marques, chaque personne possède vraisemblablement une "identité" immunologique propre, et c'est la raison pour laquelle il est si difficile de trouver des donneurs d'organes dits "compatibles". Ceux-ci, en effet, doivent avoir une identité immunologique aussi près que possible du receveur, de peur de voir ce dernier reconnaître l'organe comme étant du "non-soi" et de réagir contre lui comme s'il s'agissait d'un tas d'envahisseurs. Une marque, quelle qu'elle soit, qui est reconnue par le système immunitaire porte le nom d'antigène. Vous connaissez les anticorps? Ces protéines circulantes ont pour fonction de reconnaître et de se lier aux antigènes. Toute cellule vivante possède des antigènes, mais notre corps ne fabrique pas d'anticorps contre nos propres antigènes (en temps normal).
Quand une bactérie entre dans notre corps, elle porte des antigènes que nous ne reconnaissons pas. Notre système immunitaire, par différents moyens, réagit et cherche à la détruire. Idem avec un virus. Mais plus encore: quand une de nos cellules est infectée par un pathogène, elle exprime à sa surface certains antigènes typiques de l'envahisseur: c'est une façon de signaler que le pathogène est présent, même s'il se cache dans une cellule. La cellule en question est alors détruite (parce que le système immunitaire ne fait pas dans la dentelle).
Ça marche aussi avec de nombreux antigènes qui ne devraient pas se retrouver là, même sans présence d'un pathogène: plusieurs cancers, par exemple, sont sujets à une réponse immunitaire de notre corps parce qu'ils provoquent l'apparition de nouveaux antigènes à la surface des cellules, antigènes que le corps identifie comme des anomalies. (Ce n'est pas toujours le cas, hélas, mais c'est la base d'une intéressante stratégie thérapeutique dans le traitement du cancer).
Comme tout système, il arrive que la réponse immunitaire se détraque. Soit elle est trop mièvre face à un pathogène, soit elle est stimulée par nos propres antigènes (ceux du"soi"). Dans le premier cas, nous n'arrivons pas à lutter efficacement contre une infection; dans le second, nous développons une maladie auto-immune. À toutes les fois que je vois un yaourt, une huile ou un jus de fruit qui promettent de stimuler mon système immunitaire, c'est à ça que je pense: en effet, comme mon système immunitaire fonctionne très bien merci (attendu que je suis assez bien portant en ce moment, sans trace d'immunodéficience), sa stimulation me semblerait être la même chose que de stimuler indûment les forces de police: trop de contraventions, c'est comme pas assez. Plutôt que de me prémunir encore plus contre le rhume, je craindrais que le yaourt magique ne déclenche une crise d'arthrite rhumatoïde, de lupus érythémateux disséminé, de diabète de type I ou de sclérose en plaques. Ce qui, on en conviendra, est pas mal moins vendeur que de dire que le yaourt a un goût frais.
Bon, ne soyons pas de mauvaise foi: cela n'arrivera pas. Tous ces produits aux vertus pseudo-scientifiques sont plus de grands hâbleurs que des bombes à retardement. Mais ils illustrent assez bien que l'industrie du marketing n'hésite pas à utiliser à tort et à travers un langage vaguement scientifique pour parvenir à ses fins. N'oubliez jamais cet adage: ils veulent votre bien... et ils l'auront.
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