vendredi 4 avril 2014

Techniquement, il n'y a rien de faux dans tout ça...









Matériel supplémentaire

Une mole est un chiffre correspondant à 6.02214129 × 1023. Cet exposant 23 veut dire qu'on pourrait aussi l'écrire 602 214 129 000 000 000 000 000 si on avait assez de place.

Qu'est-ce que c'est que ce gros chiffre? Il s'agit du nombre d'Avogadro, qui est défini comme le nombre d'atomes dans 12 grammes de carbone. Il permet d'établir une relation entre la masse atomique d'une substance et la quantité que nous avons entre les mains.

Ainsi, en faisant une simple règle de 3, on peut dire que dans un gramme d'hydrogène (dont la masse atomique est de 1), on a 6.02214129 × 1023 atomes. (J'arrondis un peu ici, parce que la masse moléculaire de l'hydrogène n'est pas exactement de 1).

Le tableau périodique des éléments permet de classer les éléments qui forment la matière en fonction du nombre de protons que leur noyau contient. Ce tableau nous donne aussi la masse atomique de chaque élément: par exemple, l'oxygène, dont le numéro atomique (ou le nombre de protons) est 8, a une masse moléculaire de 15,9994. Cela signifie qu'une mole d'oxygène (ou 6.02214129 × 1023 atomes d"oxygène) pèse 15,9994 grammes.

L'importance de ce chiffre quand il s'agit d'homéopathie est qu'il explique une raison fondamentale pour laquelle le principe de base de cette discipline est en conflit avec la science moderne. L'homéopathie est une philosophie thérapeutique inventée par le docteur allemand Christian Friedrich Samuel Hahnemann en 1796, année où, paradoxalement, l'Anglais Edward Jenner réalisa la première vaccination. Je dis "paradoxalement", parce que dans un sens l'homéopathie et la vaccination au au moins une similarité: celle d'utiliser le mal pour traiter le mal.

La grande différence entre les deux, bien sûr, est que la vaccination fonctionne et l'homéopathie, non. La vaccination repose sur le mécanisme suivant, qui est maintenant bien compris: en exposant le corps a un agent pathogène affaibli ou à des composantes moléculaires de cet agent pathogène, on permet au système immunitaire de réagir comme face à une vraie infection, mais sans courir le risque de tomber malade. La réaction immunitaire implique la stimulation et la prolifération de cellules aptes à reconnaître spécifiquement ces composantes étrangères, ainsi qu'à la génération de protéines appelées anticorps qui agissent un peu comme des têtes chercheuses. Ces cellules, ces anticorps et les réactions qu'elles permettent nous débarrassent des agents pathogènes et des cellules malades.

L'homéopathie, elle, repose sur le principe de similitude, qui dit qu'une substance produisant chez une personne saine les mêmes symptômes que les symptômes présentés par une personne malade peut être utilisée, après une série de dilutions, pour traiter lesdits symptômes chez le malade. (Ajoutons ici que l'homéopathie ne traite pas les maladies, mais traite les patients d'une manière qu'on veut plus holistique). Malheureusement, malgré des tas d'anecdotes, les traitements homéopathiques ne fonctionnent pas mieux que l'effet placebo.

On pourrait bien sûr s'attendre à ce qu'un remède homéopathique déclenche simplement la réponse immunitaire, ce qui expliquerait pourquoi elle est supposée fonctionner. Mais voilà; pour fonctionner, ce système doit quand même être exposé à un certain nombre de molécules étrangères. Hors, les remèdes homéopathiques sont dilués. Très dilués. Massivement dilués.

Ces remèdes portent généralement une indication de leur dilution. Une dilution 1C, par exemple, signifie que l'élément concerné a été dilué 100 fois. Une dilution 6C veut dire une partie par 1012, ou 1 : 1 000 000 000 000. Là ou ça se gâte c'est quand on arrive aux dilutions 12C et 14C, respectivement 1 : 1024 et 1 : 1026... parce qu'on excède le nombre d'Avogadro, et que si on était parti avec une mole de ce qu'on veut diluer, il ne nous en resterait même pas une molécule à la fin.

Faisons le test. Mettons qu'on part avec une solution initiale de sucre. Un sachet de sucre fait 5 grammes environ, alors commençons par diluer 40 sachets de sucre dans un litre d'eau. Cela nous donnera 200 grammes par litre, une solution qui n'est pas tout à fait deux fois plus sucrée que le Coca-cola (celui-ci contenant 110 grammes de sucre par litre). On admettra que c'est quand même beaucoup de sucre. Comme le sucre (dont la formule est C12H22O11) a une masse moléculaire de 342 g/mol, notre litre contient 0,58 mole de sucre, ou (0,58 x 6.02214129 × 1023 = 3,5 × 1023) molécules.

Ces 3,5 × 1023 molécules, nous allons maintenant les diluer en prenant une part de notre litre d'eau sucrée et en la mélangeant à neuf parts d'eau pure (il paraît qu'il faut aussi agiter d'une façon spécifique pour que le médicament fonctionne. Mais passons). C'est ce qu'on appelle "diluer dix fois". De cette nouvelle solution, prenons-en encore une part, et mélangeons-la à neuf autres parts d'eau pure. Par rapport au début, on a donc dilué notre sucre 100 fois. Et ainsi de suite pour 1000 fois, 10 000 fois, etc.

Si on y va pour la dilution 12C, correspondant à une dilution de 1024 fois, cela nous donne 3,5 × 1023 / 1024, ou 0,35 molécule.

Oui, vous avez bien lu, notre récipient final contient zéro virgule trois-cinq molécule de sucre. Moins qu'une molécule entière. Comme on ne peut pas couper une molécule en deux juste en la diluant, alors on a dans notre contenant soit une seule molécule, soit zéro molécule. (On dira que les chances d'avoir une molécule sont de 35%).

Pour la dilution 13C, la situation est 100 fois plus épineuse: on n'a plus que 3,5 × 1023 / 1026 molécules, ou 0,0035... trois chances et demie sur mille d'avoir une seule molécule de sucre.

La dilution recommandée par le bon Dr Hahnemann est de 30C, ou 1 : 1060. On aurait dans ces conditions moins d'une chance sur 100 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 000 d'avoir une seule molécule de sucre dans notre récipient. Non, cela ne goûtera pas grand chose. C'est de l'eau.

Et ce n'est pas la plus diluée des solutions homéopathiques! Un certain médicament homéopathique contre la grippe (Oscillococcinum) demanderait une dilution de 10400 environ. Comme il s'agit de foie de canard au départ, ce n'est peut-être pas plus mal.

Certains défenseurs de l'homéopathie cherchent à expliquer le fonctionnement de leur système sans la présence d'une seule molécule par un mystérieux phénomène appelé "la mémoire de l'eau", qui dit que les molécules d'eau s'agenceraient dans l'espace de manière à faire perdurer la forme d'une molécule avec laquelle elle aurait été en contact. Outre le fait que cette hypothèse semble un peu farfelue, elle n'a pas pu être confirmée expérimentalement de façon indépendante et les célèbres observations initiales sur le sujet sont aujourd'hui considérées comme des artefacts expérimentaux.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire